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Le projet de loi sur l’immigration
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Des raisons de s’inquiéter
Les orientations du futur projet de loi ne sont pas tournées vers l’accueil. Au contraire, elles restreignent les possibilités de régularisation pour les personnes étrangères, se focalisent sur l’enfermement administratif et les expulsions ; et sont porteuses, parfois, d’une assimilation entre l’immigration et la délinquance. Au-delà des mesures régressives pour les droits des personnes exilées, une absence terrible de hauteur de vue sur les migrations, composante essentielle du monde d’aujourd’hui et encore plus de celui de demain. Quand les routes de l’exil se transforment de plus en plus en tombeaux pour les personnes migrantes et que les conditions d’accueil demeurent indignes pour nombre d’entre elles, quelles sont les propositions ? Quand parle-t-on de solidarité, d’hospitalité, de défense de la dignité et des droits de toutes et tous ?
• Sur la régularisation par le travail
Des annonces ont été faites concernant la régularisation sur le motif du travail, mais il n’est pas question d’être à la hauteur d’une crise humanitaire sans précédent (multiplication des personnes dans des bidonvilles, des personnes sans logement, etc.), mais seulement d’adapter le droit des étrangers aux attentes du marché. Il existe un réservoir de personnes idéales pour les métiers en tension : les personnes étrangères qui sont prêtes à accepter des emplois sans en négocier les conditions pour obtenir le sésame de la régularisation. Des métiers qui, pour la plupart, sont peu reconnus, mal payé et pénibles. Le contrat tacite est : « tu es régularisé en contrepartie de ta force de travail ». Quid alors des personnes qui perdront ou qui n’ont pas cette force à vendre parce qu’âgé, malade ou handicapé ? Sont-elles ces « méchant·e·s » dont parle le ministre de l’Intérieur lorsqu’il évoque sa politique : « être gentil avec les gentils ; méchant avec les méchants ». C’est éloigné de la vision sociétale que nous défendons où chacun agit en fonction de ses moyens et capacités. Les personnes vulnérables ont droit à la dignité. Derrière le slogan de la Cimade « régularisation pour tous » c’est cela que nous réclamons, une société inclusive qui ne laisse personne sur le côté de la route. Réduire la régul travail aux métiers en tension serait une régression par rapport à l’existant. La circulaire Valls avec toutes ses imperfections permet d’être régularisé pour tout métier. Enfin, quels que soient les critères de régularisation envisagés, l’accès à un titre de séjour se heurte actuellement à l’impossibilité pour de très nombreuses personnes d’accéder aux guichets des préfectures, du fait notamment de la dématérialisation des procédures. Pour être effectives et donc crédibles, des mesures de régularisation doivent nécessairement s’accompagner de moyens supplémentaires dans les préfectures pour recevoir le public et instruire les dossiers, ainsi que d’alternatives sérieuses à la dématérialisation.
• Sur l’asile
La réforme renforce la tendance à la rationalisation des procédures d’asile. Les demandes d’asile seront examinées de façon expéditive alors que les personnes ayant subies un traumatisme ont besoin de temps et de confiance pour dire les exactions dont elles ont été victimes et formuler leur demande d’asile. La réduction des délais d’étude des dossiers pourrait se régler par l’attribution de moyens supplémentaires à l’OFPRA et la CNDA. Par ailleurs, on peut légitimement s’interroger sur la volonté politique de réduire le pouvoir de la CNDA qui attribue un pourcentage important de statuts de réfugiés. Il est prévu une réforme de la CNDA. Les dossiers sont étudiés par une formation collégiale avec un président et deux juges (l’un nommé par le Conseil d’Etat et l’autre par le Haut Commissariat aux Réfugiés). La collégialité prend du temps et la proposition du ministre de l’intérieur, pour réduire les délais d’instruction, est de passer à un juge unique. Il est prévu une décentralisation de l’OFPRA et la CNDA (conséquences ?)
• Sur l’éloignement et l’enfermement
Le problème du Gouvernement est le faible taux d’exécution des OQTF. Une circulaire du ministère de l’intérieur relative à l’exécution des OQTF et au renforcement des capacités de rétention (17 nov 2022) demande aux préfets de prendre des OQTF à l’encontre de toute personne en situation irrégulière sans rappeler que la procédure implique un examen personnalisé de la situation de chacun.e en amont. Elle indique par ailleurs mettre en place une « véritable police du séjour » (p. 1 de la circulaire) qui devra s’assurer que « tout titre arrivé à échéance implique l’examen de la situation de l’étranger pour prise d’OQTF et d’éloignement le cas échéant ». Il en ressort donc une volonté de systématiser le prononcé d’OQTF (même si leur exécution reste illusoire), ce qui revient de facto à augmenter le nombre de personnes indésirables sur le territoire. À défaut d’une exécution effective, le ministre de l’Intérieur a également annoncé qu’il travaillerait à rendre la vie des personnes sous OQTF impossible en France. Cette phrase est symptomatique d’un acharnement sur des personnes déjà fragilisées par leur parcours migratoire et par leur situation administrative qui leur confère que très peu de droits, contrairement à ce que le ministre soutient. Il est question de prendre des IRTF aussi souvent que possible, ce qui est une façon de bannir du territoire européen un grand nombre de personnes. La circulaire s’inscrit par ailleurs dans une logique d’accentuation des mesures de surveillance, de contrainte et de contrôle des personnes étrangères sans-papiers : il est demandé de renforcer les capacités de rétention et de systématiquement assigner à résidence les personnes sous le coup d’une mesure d’expulsion dès lors qu’elle n’est pas placée en rétention. Ces mesures coercitives portent gravement atteinte aux droits et libertés des personnes concernées. Le projet est clair, il faut reconduire hors de nos frontières et rendre le retour impossible.
▪︎ Augmentation du nombre de places en rétention ;
▪︎ Développement des LRA ;
▪︎ Systématisation des assignations à résidence lorsque la personne n’est pas placée en CRA ;
▪︎ Prendre des IRTF autant que possible. Pour rappel, les IRTF sont automatiques pour les OQTF sans délai de départ volontaire et en cas de maintien irrégulier sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire. Dans les autres cas, la loi énonce qu’elles sont facultatives. Ces délais raccourcis vont bien évidemment restreindre l’accès aux droits pour les personnes concernées ;
▪︎ Exclusion des personnes en situation irrégulière des dispositifs d’hébergement d’urgence, ce qui est contraire à la loi.
• Sur l’apprentissage du français
« Nous souhaitons conditionner les titres de séjour pluriannuels à la réussite d’un examen de français. Cela va changer beaucoup de choses. Aujourd’hui, un quart des étrangers qui ont des titres de séjour comprennent et parlent extrêmement mal le français. » Ce n’est pas parce qu’on a un devoir de réussite à un examen que l’on apprendra mieux le français, c’est parce qu’on a un accompagnement et des formations linguistiques de qualité qu’on s’appropriera pleinement une langue. Le fait de conditionner l’obtention d’un titre de séjour à la réussite d’un examen en français n’est pas un moyen de favoriser l’acquisition d’une langue et, partant, l’intégration de la personne ; mais simplement un moyen supplémentaire de restreindre l’accès à l’obtention d’un statut administratif. Si un diplôme de ce type (surement A1, niveau débutant) est demandé aux primo-arrivant·e·s, cela discriminera les personnes allophones et plus particulièrement les personnes qui ont peu ou pas été scolarisées avant leur arrivée en France. Alors que la lutte contre l’illettrisme a été déclarée « grande cause nationale », il y a un énorme déficit concernant les personnes exilées.
Isabelle Kauffmann,
Cimade de Nancy